Sujet: Défendre ses coéquipiers, même contre un ami Mer 4 Mar 2015 - 15:09
Yanick Turcotte en est à sa deuxième saison dans la LHJMQ avec les Remparts de Québec et il s’est forgé la réputation d’être l’un des meilleurs batailleurs de sa profession. Il a été repêché par les Diables rouges à l’été 2013, c’est d’ailleurs au cours de ces vacances qu’il s’est inscrit à beaucoup de cours où il a appris les rudiments de la boxe. « J’ai aussi rencontré Donald Brashear et Mario Roberge [deux anciens de la LNH] pour qu’ils me donnent quelques trucs. Ça m’a beaucoup aidé, mais je pense que c’est surtout avec l’expérience que nous apprenons », dit-il.
Il a lu ce que Prust a écrit et partage amplement son avis : « C’est une belle lettre. C’est rare que les joueurs s’expriment comme ça. Je me suis beaucoup reconnu là-dedans, je suis content qu’un joueur de la LNH l’ait écrite. Je fais le même rôle que lui. On se bat pour défendre nos coéquipiers et pour donner du tempo au match. Les gars aiment ça, la foule aime ça, tout le monde aime ça. C’est de cette manière qu’on amène de l’énergie à notre équipe. »
À première vue, le rôle de bagarreur peut sembler plaisant. On jette les gants, on allume la foule et on reçoit les félicitations de nos coéquipiers, mais en s’informant le moindrement, on réalise que c’est beaucoup plus que ça. Que ce n’est pas une tâche toujours facile et plaisante d’affronter les meilleurs de notre profession qui veulent juste nous mettre K.-O. « Oui, c’est un rôle difficile. La veille d’un match, tu le sais qu’il y en a un qui t’attend l’autre bord pour t’affronter. Tu y penses pendant la soirée et le jour même en allant à l’aréna. Des fois, je me souviens que j’embarque sur la glace juste en pensant au gars que j’allais affronter, mais il faut essayer de penser à la game. Les autres fois, ça se passe dans le feu de l’action. Je le fais pour mes coéquipiers et il n’y a pas plus beau sentiment que de voir tes coéquipiers t’encourager », dit l’attaquant de 18 ans après un entraînement au Pavillon de la Jeunesse.
Jadis, les combattants étaient dans l’alignement simplement pour jeter les gants, mais le hockey a changé. Ils doivent être en mesure d’aider leur équipe en amenant une autre dimension à leur jeu. Yanick Turcotte, à 6’0 et 207 lbs, s’impose par ses mises en échec et il récolte des points certains soirs. « J’amène de l’énergie et une présence physique. Nous sommes une équipe rapide et physique, c’est ça que je veux amener. Je fonce au filet adverse. Ce n’est pas juste une question de jeter les gants, je dois jouer comme tout le monde. »
Il se fait également un devoir d’être discipliné. Il met rarement son équipe dans l’embarras. Il connaît la ligne entre amener de l’énergie et pêcher par indiscipline. « Quand un gars ne veut pas se pogner, je ne vais pas sauter dessus ou jeter les gants quand il a encore les siens. Si tu regardes mes minutes de pénalité (126), ce sont presque toujours pour des combats (100). »
Des affrontements prévus ?
Le site DropYourGloves.com se spécialise en analysant chaque combat. Chaque joueur dispose d’un dossier où toutes ses bagarres sont cumulées, on lui attribue une victoire ou une défaite et on évalue même si le combat était plaisant pour l’amateur moyen qui est assis dans les gradins. En vingt-et-un combats cette saison (on inclut un match préparatoire), le patineur de Sainte-Brigitte-de-Laval enregistre une fiche de onze victoires, trois défaites et six verdicts nuls (son duel du 1er mars n’a pas encore été enregistré). Il rit d’ailleurs quand on lui fait part de cela, il avoue également être allé voir sa fiche.
Il a affronté quatre fois Reid Halabi, deux fois Julien Proulx, Justin Doucet et Mikaël Sabourin. C’est donc dire que dix des vingt-un combats ont eu lieu contre les quatre mêmes messieurs. Des partisans soulèvent sur les réseaux sociaux que les batailles sont prévues avant que la rondelle ne tombe en jeu, d’où leur inutilité à notre sport national. Turcotte apporte toutefois une nuance à ces propos : « Quand je veux changer le tempo de côté, je ne vais pas le faire contre la vedette de l’autre équipe, il faut que je me pogne contre des gars de mon rôle, c’est-à-dire ceux des troisième ou quatrième trios. Tu essaies de leur en parler un peu et de les convaincre. En avance 3 à 0, ils n’ont pas envie de se battre, mais ils veulent aussi montrer qu’ils peuvent défendre leurs coéquipiers. »
Parmi les noms mentionnés précédemment, certains sont, dans la vie de tous les jours, des amis personnels de Turcotte. Prust en a fait mention dans son papier, il lui arrive qu’il doit donner un coup de poing au visage de son ami pour le bien de son équipe. « Proulx, c’est un de mes chums de longue date. Ce qui se passe sur la glace reste sur la glace. En dehors de celle-ci, ce ne sont pas des ennemis du tout. Nous sommes les protecteurs de nos formations, nous comprenons notre rôle. »
Il y a un règlement dans la LHJMQ qui empêche les bagarres planifiées. Si les officiels en charge de la rencontre jugent que le combat était prévu, ils seront immédiatement expulsés. C’est d’ailleurs arrivé le 24 février dernier pour le #17 des Remparts après son furieux combat contre Beau Rusk, de l’Océanic de Rimouski. « Ce sont surtout pour éviter qu’on se batte après le coup de sifflet ou quand on sort du banc des punitions. Les arbitres s’y attendent quand deux durs discutent pendant les arrêts de jeu. Quand c’est semi-planifié, on va dire ça de même, on attend toujours au moins dix ou quinze secondes après la mise-au-jeu. »
Un observateur attentif
Son préféré dans la LNH, c’est Ryan Reaves, des Blues de St-Louis. « Je regarde tous ses combats. Il ne recule devant personne, il n’a pas peur. J’aime bien son style de jeu, il sait jouer au hockey. Je vais souvent sur HockeyFights pour regarder les vidéos quand il se bat. »
Turcotte ne fait pas que regarder Reaves, il regarde pas mal tous les duels dans le monde du hockey, que ce soit dans la LNH, la LHJMQ ou dans le hockey junior de l’Ontario et de l’Ouest canadien. « J’aime faire ça dans mes temps libres. Je n’en manque pas beaucoup! »
Personne ne lui demande de faire ce qu’il fait. Il le fait car il aime ça. Il aimerait d’ailleurs le faire au prochain niveau et faire du hockey son gagne-pain. « J’ai beaucoup de travail à faire par contre, lance-t-il en riant. Pour l’instant, je me concentre sur les Remparts. »
Il connaît également les dangers de son rôle, mais il n’y pense plus. Pendant un combat, a-t-il peur de se faire envoyer au pays des rêves? « À ma première saison, j’y pensais, mais plus maintenant. La seule chose à laquelle je pense est de gagner. »
Il fût un temps où les hockeyeurs allaient à la guerre avec des maux de tête insupportables. Plus tard, on a appelé ça des commotions cérébrales et les joueurs ne peuvent plus jouer lorsqu’ils sont diagnostiqués. Les cerveaux d’anciens bagarreurs de la LNH ont été analysés et les résultats sont inquiétants. « J’y pense, mais ça ne m’inquiète pas. Aujourd’hui, on en sait beaucoup plus sur les commotions qu’avant. On ne voit plus de gars jouer avec des commotions », conclut l’homme qui risque de rejouer sous les ordres de Philippe Boucher l’année prochaine pour sa saison de 19 ans.