Au beau milieu de son premier entraînement à la tête d’Équipe Canada junior, Benoît Groulx a séparé ses joueurs en deux groupes qu’il a envoyés à chaque extrémité de la patinoire.
Il leur a demandé de se mettre en rang, dans un axe à peu près perpendiculaire à la ligne bleue, formant délibérément un léger angle en direction du filet. Il a ensuite placé un de ses adjoints à la tête de chaque file avec à leurs pieds une dizaine de rondelles. Des rondelles « molles ». On voulait passer un message, pas renvoyer un joueur à la maison en béquilles.
L’exercice a commencé. Un coup de bâton sur la glace signifiait que le premier joueur en rang devait s’engager vers le porteur du disque, s’accroupir en plaçant un genou sur la glace et s’arranger pour se faire frapper par le projectile.
Inhabituel comme requête, mais plutôt simple, n’est-ce pas?
« Tu voyais que certains gars ne savaient pas trop comment faire, a pourtant remarqué Groulx après la séance. Ils ne sont pas habitués de faire ça, on ne leur demande jamais ça avec leur équipe junior. Même que je vous avouerais que leur coach, bien souvent, va souhaiter que la rondelle les évite! »
Mais pas ici, pas maintenant. Groulx, ses assistants Dave Lowry et Scott Walker ainsi que la poignée de collègues influents qui observaient la scène en veston-cravate dans les gradins du complexe généralement occupé par la grande famille des Maple Leafs ont pour mission de ramener ce qui était jadis vu comme une grande puissance mondiale sur un podium qui lui a échappé au cours des deux dernières années. Dans ce contexte, rien n’est laissé au hasard.
Frédérik Gauthier« Si on a fait ça aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour faire beau, pour se donner bonne conscience, veut bien faire comprendre le sélectionneur canadien. Bloquer des lancers, c’est un art qu’on veut perfectionner sur une base quotidienne de façon à pouvoir y exceller une fois que le tournoi se mettra en marche. »
Groulx l’a répété à d’innombrables reprises au cours de la dernière semaine : les joueurs sachant lui démontrer une capacité d’adaptation et un sens du sacrifice seront ceux qui attireront son attention à mesure que le processus visant à réduire les effectifs à 22 joueurs approchera de son dénouement. Il le martèle depuis qu’il a été nommé à la tête du projet : le talent à lui seul ne suffira pas.
Frédérik Gauthier et Nick Ritchie, des colosses de 6 pieds 4 pouces, devront aller jouer dans le trafic s’ils veulent contribuer à la conquête de l’or. Mais ça vaut aussi pour Rourke Chartier, le meilleur franc-tireur au Canada avec 32 buts en 30 matchs chez les Rockets de Kelowna.
« Ça ne suffit pas d’être un des joueurs dominants de la Ligue canadienne (CHL). Il faut savoir adapter son jeu, s’adapter à de nouveaux coéquipiers, s’adapter à un rôle qu’on n’est pas nécessairement habitué de remplir. Pour moi, c’est ce qui fait la différence entre un bon joueur et un joueur de calibre mondial », clame le pilote des Olympiques de Gatineau.
« Si tu veux jouer à ce niveau, il faut que tu sois capable de jouer sur 200 pieds, ajoute-t-il. Ça, ça veut dire de l’échec-avant, des replis défensifs, une implication physique dans les coins de patinoire et devant le filet, bloquer des lancers, fournir un deuxième effort, rester moins longtemps sur la glace pour avoir ce tempo qu’on recherche à ce niveau. S’adapter, c’est ça que ça veut dire. »
Une équipe à maturité
Groulx connaît bien ses joueurs et ses joueurs le connaissent bien. Avec le récent départ du défenseur Chris Bigras, retranché dimanche, ils sont maintenant six à avoir joué sous ordres alors qu’il était adjoint à Brent Sutter l’année dernière à Malmo, en Suède.
Les talentueux Max Domi et Darnell Nurse, deux joueurs qui n’avaient pas été en mesure de franchir les dernières étapes de sélection l’hiver dernier, sont deux autres vétérans avec une place pratiquement assurée au sein de l’édition actuelle.
Présentement, 16 des 25 joueurs sous la supervision de Groulx ont 19 ans, l’âge maximal pour participer au tournoi. Sept autres ont 18 ans et deux n’ont pas encore atteint la majorité. Personne n’est dans le secret des dieux, mais pas plus de six joueurs ne devraient émerger de ce dernier groupe de neuf.
C’est donc dire que Groulx pourra compter sur une formation aguerrie dont plusieurs éléments portent encore les marques de la décevante quatrième place obtenue l’an passé. C’est l’une des raisons qui l’incitent à croire que son message sera bien entendu alors que le camp d’entraînement qu’il dirige entre dans sa deuxième phase.
« L’an passé, notre sélection a été différente. On a pris plusieurs des meilleurs joueurs au Canada, mais les gens ont oublié qu’il y en avait onze âgés de 18 ans, remarque Groulx. Et nous, on a peut-être compensé en amenant des joueurs plus vieux, mais moins talentueux. Je pense qu’il fallait énormément de courage pour aller en Suède avec une équipe aussi jeune. Mais aujourd’hui, quand je regarde ces gars-là sur la glace, je vois la différence. »
Groulx cite notamment en exemple le cas de Domi, auteur d’une saison de 90 points en seulement 61 matchs la saison dernière avec les Knights de London et choix de première ronde des Coyotes de Phoenix. Tout son talent n’a pas suffi à lui valoir une place dans une équipe plus jeune l’an dernier. Aujourd’hui, son entraîneur voit en lui un athlète métamorphosé.
« Il n’est clairement plus le même joueur. Avec toute son expérience, il a compris la différence entre ce qui vous permet de vous tailler une place au sein d’une telle équipe et ce qui vous vaut d’être retranché. Comme tous les autres joueurs de 19 ans, je crois qu’il est bien mieux préparé pour jouer à ce niveau cette année. »
« Mon jeu est plus complet. Je sais maintenant comment jouer sans la rondelle et j’avoue que je travaille un peu plus fort, a concédé Domi. Une année complète pour travailler sur mes faiblesses, ça a fait une grosse différence dans mon cas. »
« Tous ceux qui étaient là l’an dernier comprennent l’importance de compter sur des gars avec plus d’expérience, avance Reinhart, le deuxième choix au total du plus récent repêchage de la LNH. La plupart des gars qui sont ici ont participé à toutes sortes de compétitions internationales, que ce soit chez les moins de 17 ans ou les moins de 18 ans, mais il faut vraiment vivre l’expérience chez les U20 pour comprendre à quel point le niveau de compétition est incomparable à tout ce qu’on a connu avant », croit celui qui devrait être le centre numéro un – et possiblement le capitaine – d’ÉCJ.
« Sam avait été bon pour nous l’an dernier. On connaît tous l’intelligence qu’il peut démontrer sur la patinoire. Il est passionné mais très calme. Il est l’un de ceux à propos de qui je n’ai aucun doute qu’il peut élever le niveau de son jeu, adapter son style de jeu. Il comprend tout ça. »
Et pourra le faire comprendre aux autres, souhaite sans doute Groulx.