Il y a sans doute des trucs très utiles que Marc Bergevin a appris en travaillant dans l’entourage de Scotty Bowman et de son fils Stan qui dirige habilement les Blackhawks de Chicago depuis sept ans. Cela lui permet de poser des gestes parfois anodins en apparence, mais qui débouchent sur d’heureuses trouvailles.
On pense entre autres à Paul Byron qui n’a coûté qu’un coup de fil à la Ligue nationale quand Calgary l’a soumis au ballottage. À Torrey Mitchell qu’il a obtenu en retour d’un choix de septième ronde et d’un joueur très marginal, Jack Nevins, qui n’a pas disputé un seul match dans la Ligue nationale depuis cette transaction. À l’énigmatique Lars Eller qui lui a rapporté deux choix de deuxième ronde. Et à Phillip Danault qui prend plus de place qu’on l’aurait cru dans les plans de l’équipe.
Quand Danault a été acquis avant la fin de la période des transactions en février dernier, on y a d’abord vu un geste destiné à donner bonne bouche à ceux qui se plaignent de voir si peu d’éléments francophones avec le Canadien. On a pensé qu’à l’instar des joueurs marginaux, qui viennent et repartent sans avoir eu d’impact sur l’équipe, Danault ne serait peut-être que de passage, lui aussi.
Faut dire qu’une blessure à la hanche, pour laquelle il a d’ailleurs été opéré, l’empêchait de patiner à l’aise à son arrivée. Il a ainsi écoulé les derniers mois de la saison sans avoir créé une grande impression. C’est à l’entraînement durant l’été que s’est opéré le plus grand changement. Il a passé une bonne partie de la période estivale à Québec pour se préparer à offrir une meilleure impression au camp. Il s’est défoncé aux côtés de Patrice Bergeron, un athlète à la conduite irréprochable, tant sur la glace qu’à l’extérieur. Bergeron s’entraîne encore comme un déchaîné. Chaque été, il s’offre des cours de patinage de puissance (power skating). Pourtant, compte tenu de la brillante carrière qu’il connaît, s’il y a quelqu’un qui pourrait se permettre de passer outre à ce genre d’exercice, c’est bien lui. Danault a donc eu le meilleur des exemples sous les yeux. Si on s’entraîne dans l’entourage d’un chef de file comme Bergeron et qu’on n’est pas tenté de l’imiter, on n’est pas à la bonne place. Cela explique peut-être en partie la belle éclosion de Danault en ce début de saison.
Pour obtenir le fringant attaquant, Bergevin a offert Dale Weise, un ailier qui n’était plus dans les plans de Michel Therrien, et Tomas Fleischmann, un athlète usé à la corde. Sans compter que le directeur général a arraché par la même occasion un choix de deuxième ronde aux Hawks. Un vol, pas de doute.
Bilan final de la transaction: Weise a été libéré par Chicago après avoir obtenu une passe en 15 parties. Fleischmann a disputé 19 matchs et annoncé sa retraite. De son côté, Danault, à 23 ans, risque d’être fort utile au Canadien pendant plusieurs saisons s’il conserve son enthousiasme et son entrain au jeu.
Selon son agent, l’ex-gardien de but Stéphane Fiset qui est aussi un ami de la famille, il serait très étonnant que Danault lève le pied. Phillip avait 8 ans quand il a fait sa connaissance. Il le décrit comme un jeune passionné par le hockey. Sa progression a été constante. Dans les rangs Midget AAA, il a amorcé son stage au sein d’un quatrième trio et l’a terminé dans un premier. Avec les Tigres de Victoriaville, il est passé du quatrième au troisième trio. On l’a nommé capitaine à 17 ans.
Ce qui est très étonnant dans son cas, c’est le fait qu’il ait été réclamé en première ronde par les Blackhawks (26e) après avoir compilé des statistiques qui auraient pu désintéresser la majorité des organisations. Dans la Ligue de hokcey junior majeur du Québec (LHJMQ), il a obtenu des productions plutôt décevantes: 10, 23, 18 et 23 buts. Des chiffres qui auraient pu le faire veiller très tard à ce repêchage.
Qu’est-ce que les Blackhawks ont vu en lui pour le choisir aussi tôt qu’en première ronde?
« Ce ne sont pas ses statistiques qui lui ont valu d’être repêché, explique Fiset. On a probablement noté la même éthique de travail à Victoriaville qu’on remarque chez le Canadien en ce moment. Il y a du leadership en lui. On y a vu, je crois, le prototype du joueur complet. Les Blackhawks recherchaient un centre de troisième trio. Nous nous attendions à ce qu’il soit réclamé en milieu de deuxième ronde, mais je crois qu’ils ont agi plus rapidement parce qu’ils ne voulaient pas courir le risque de le perdre. »
Pourtant, dans la Ligue américaine, il n’a rien cassé. À Chicago non plus, d’ailleurs. Le plus grand avantage de Bergevin au moment de la transaction, c’était d’avoir été sur place quand les Hawks l’ont repêché. Il savait ce que l’équipe entrevoyait pour lui. C’est sans doute très utile d’avoir la mémoire longue quand on est directeur général.
Fiset croit que Danault n’a pas fini de causer des surprises. Il vient de réussir un vieux truc en passant encore une fois du quatrième au troisième trio. Le fait qu’il patrouille actuellement le centre, une position qu’il affectionne, semble lui donner un surcroît d’énergie.
« Je le vois très bien connaître du succès au sein d’une troisième ligne d’attaque, mais si jamais un deuxième centre se retrouvait en difficulté, il serait parfaitement capable de se hisser à cette position », ajoute l’agent.
Les centres en difficulté ne manquent pas chez le Canadien. Tomas Plekanec et David Desharnais obtiennent des points au compte-gouttes. À long terme, Danault pourrait devenir le successeur de l’un d’eux. Toutefois, pour espérer déloger des vétérans, il devra d’abord s’assurer de maintenir une production respectable, ce qu’il n’a pas fait encore chez les professionnels.
Au centre de Max Pacioretty et d’Andrew Shaw, il se voit offrir une chance d’y arriver. On le sent confiant. On ne le voit pas constamment chercher Pacioretty du regard parce qu’il est le franc-tireur de l’équipe et le capitaine. Bref, il ne modifie pas son style pour se mettre au service d’un vétéran. Par ailleurs, s’il arrivait à faire produire Pacioretty, il marquerait des points dans l’estime de ses patrons.
Présentement, Fiset, qui le connaît comme sa poche, affirme que Danault lui semble un peu renfermé dans ses contacts avec les médias. Il répond prudemment aux questions parce qu’il craint de dire des choses incorrectes. Il n’a pas l’habitude de se retrouver avec 15 journalistes devant lui après un match. Sur ce plan, son père, qui a déjà eu des intérêts dans une maison de communication, est bien placé pour lui refiler quelques précieux conseils.
« Dans un vestiaire, je vous assure qu’il est très différent, dit Fiset. Phillip parle beaucoup; il est un gars drôle. Partout où il est passé, il a été apprécié de ses coéquipiers. Il va prendre sa place dans la chambre. »
Pour le reste, ce jeune homme d’allure solide, qui semble savoir parfaitement où il s’en va, ne donne pas l’impression d’être intimidé, pas du tout déboussolé par tout ce qui lui arrive.
Il avance à grands pas. En faisant rapidement sa place, il pourrait en chauffer quelques-uns.