« Joe Hicketts has no chance. He’s too slow! Too small! »
L’évaluation est fort sévère et Benoît Groulx la crie à tue-tête, faisant en sorte qu’elle parvienne au plus grand nombre d’oreilles possible.
Juste au moment où on commence – presque – à le prendre au sérieux, son regard dévie soudainement de sa trajectoire et se pose sur un jeune homme calmement appuyé contre la baie vitrée. Hicketts est là, ses deux pommettes écarlates encerclées par une esquisse de barbe trahissant son âge, qui espionne son entraîneur en grande conversation à l’entrée du vestiaire d’Équipe Canada junior. Les deux hommes s’échangent un large sourire complice.
« Ça fait longtemps que j’ai arrêté de compter », répond le jeune homme quand on lui demande combien de fois il a entendu cette rengaine. Combien de fois il a été considéré battu d’avance, trop petit et trop lent pour se frotter à l’élite de son sport.
Dans l’histoire du Championnat mondial de hockey junior, dix joueurs ont réussi à percer la formation canadienne sans jamais avoir été repêchés dans la Ligue nationale après leur première année d’admissibilité. Wayne Gretzky, qui a rejoint les Oilers d’Edmonton à l’époque où ils évoluaient dans la défunte Association mondiale, est le premier et évidemment le plus célèbre. Mike Keane, Olivier Michaud et Josh Gorges, qui ont tous appartenu au Canadien, font aussi partie du groupe. Le plus récent est le gardien Martin Jones, qui avait été l’auxiliaire de Jake Allen en 2010.
Joe Hicketts, du haut de ses 5 pieds 8 pouces, tente de devenir le onzième.
Le défenseur des Royals de Victoria brûle la Ligue junior de l’Ouest cette année. Au moment de s’envoler pour le camp final de sélection d’ÉCJ, il revendiquait 38 points en 31 matchs, la meilleure fiche parmi tous les arrières de la WHL. C’est son rendement qui a forcé la main des évaluateurs de la sélection nationale, qui n’avaient pas daigné l’inviter au premier camp d’évaluation en août dernier à Montréal.
Mais la cote de Hicketts n’a pas toujours été aussi élevée. Il y a un an, une blessure l’a obligé à passer sous le bistouri et a hypothéqué trois mois de sa saison, le limitant à disputer seulement 36 matchs. L’inactivité a aussi laissé des traces : à son retour au jeu, l’adolescent confie qu’il faisait osciller la balance à près de 200 livres et transportait un taux d’adiposité corporelle de 22 %.
« Néanmoins, je pensais avoir assez bien joué dans le dernier droit de la saison pour refaire mon nom et faire parler de moi, raconte Hicketts. J’avais bon espoir d’être repêché. Mais quand est venu le temps des sixième et septième rondes, je commençais à me dire que ce serait peut-être préférable de ne pas l’être. Si j’étais choisi, je devais me rapporter à une équipe. Si je ne l’étais pas, je me retrouvais avec l’embarras du choix. »
Quelques formations – il confirme que le Canadien est du nombre - ont contacté son agent, mais ce sont les Red Wings de Detroit qui l’ont invité à leur camp de développement, prévu pour la deuxième semaine de juillet, puis à un tournoi opposant les meilleurs espoirs d’une poignée d’équipes. Hicketts a aussi repris sa santé en main, délestant sa charpente d’une trentaine de livres, et avant la fin de l’été, il apposait sa signature au bas de son premier contrat professionnel.
« Finalement, je suis reconnaissant de ne pas avoir été repêché. Les choses ont plutôt bien tourné… »
Des astuces pour compenser
Des dix défenseurs qui avaient été invités au camp final de sélection d’Équipe Canada junior, Hicketts est le seul qui mesure moins de 6 pieds. Il fallait le voir s’étirer aux côtés de Samuel Morin, un géant de 6 pieds 7 pouces, avant un match préparatoire le week-end dernier.
Les références à sa taille sont évidemment fréquentes. La surprise, c’est qu’elles ne sont pas nécessairement récentes.
« C’est drôle parce que lorsque j’étais plus jeune, j’étais toujours le plus grand du groupe. Quand je suis arrivé au niveau bantam, j’étais l’un des plus grands de l’équipe et ensuite… on dirait que ma croissance s’est arrêtée net! C’est quand je suis arrivé chez les midget que j’ai commencé à entendre ce refrain pour la première fois. Au repêchage de la WHL, c’est
Les Royals ont sélectionné le natif de Kamloops avec le 12e choix de l’encan et ne l’ont jamais regretté. Même contre des rivaux de trois ou quatre ans son aîné, Hicketts a su développer des trucs qui lui permettaient de tirer son épingle du jeu.
« La clé pour moi, c’est de trouver le moyen d’être plus intelligent que l’adversaire. Je dois arriver le premier à la rondelle et savoir immédiatement dans quelle direction le jeu doit se poursuivre. Je crois que c’est l’un de mes plus gros atouts. Et dans les coins de patinoire, je n’ai pas le choix d’avoir un temps de réaction très rapide pour récupérer les rondelles libres. Je ne suis peut-être pas le patineur le plus vite, mais je crois que je suis vif lorsque je travaille dans les zones où l’espace est restreint. »
« J’ai souvent dit cette semaine qu’il fallait respecter les 50 buts qu’Anthony Duclair avait déjà marqué dans la LHJMQ. C’était la même chose avec Anthony Mantha l’année dernière. Joe n’est peut-être pas le plus grand, mais il est quand même le premier pointeur parmi tous les défenseurs au Canada, raisonne Groulx après avoir repris son sérieux. C’est un compétiteur qui possède un excellent sens du jeu. Non seulement il a mérité sa place ici, mais c’est un gars qui ne cesse de nous surprendre de jour en jour. »
Surprise ou pas, Hicketts a assez bien fait pour survivre à la première ronde de coupes, qui a fait deux défenseurs parmi ses victimes. Il est l’un des deux arrières de 18 ans toujours en vie alors que Groulx et ses adjoints continuent de cogiter dans la région torontoise; l’autre est Haydn Fleury, un choix de première ronde des Hurricanes de la Caroline.
« Je crois que j’ai ma place ici, estime Hicketts. J’ai dû confondre plusieurs sceptiques pour arriver où j’en suis rendu et je n’ai pas l’intention de m’arrêter. L’objectif suprême est de faire ma place au sein de l’équipe et l’aider à tout rafler. C’est là-dedans que j’investis toutes mes énergies. Le reste, ce que les gens disent, je ne m’en fais pas avec ça. »